La culture associée de laitue et de poireau avec ou sans filet, en vue de protéger la laitue contre les attaques de pucerons, n'est pas sans risque

Dans la culture biologique de la laitue, les pucerons sont l'une des principales problématiques. Les populations de pucerons peuvent se développer rapidement, entraînant des pertes de qualité même sur une courte période de culture. En été, de nombreux ennemis naturels sont efficaces pour contrôler les populations de pucerons, mais en raison de la courte période de culture et des exigences strictes du marché, ce contrôle n'est pas toujours suffisant. Les agriculteurs bio ne peuvent utiliser que des agents à base de pyréthrines naturelles. En raison de leur action non sélective, de leur " frappe " incomplète contre les pucerons et de leur très courte durée d'action, ces biopesticides permettent difficilement de déterminer quand une pulvérisation est justifiée. Néanmoins, ils sont encore souvent utilisés en dernier "recours". En dehors du choix de variétés résistantes aux pucerons verts de la laitue (Nr), peu de méthodes de lutte alternatives sont utilisées dans la pratique.

Dans le cadre du projet, nous avons testé deux stratégies zéro phyto pour lutter contre les pucerons de la laitue cultivée en plein air : couvrir la culture d'un filet climatique ou d'un filet anti-insectes et, d'autre part, pratiquer la culture associée avec des poireaux. En effet, les plantes Allium pourraient être de bonnes plantes voisines répulsives, selon les recherches menées en laboratoire par le partenaire français du projet, EDYSAN (Ecologie et Dynamique des Systèmes Anthropisés), un département de l'Université de Picardie Jules Verne. En milieu confiné, le poireau a permis de diminuer la reproduction de certaines espèces d’aphidés. Inagro et le CRA-W ont mis en place un essai en plein champ pour tester ces effets  sur une culture d’été de laitue pommée.

Les essais ont été plantés sur la ferme expérimentale biologique d'Inagro (Roeselare, B) et sur la "plateforme maraichère BIO" du Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W, Gembloux, B). La laitue de la variété Analotta a été plantée sur les deux sites le 22 juillet (CRA-W) et le 24 juillet (Inagro) 2020. Dans chaque essai, un total de cinq objets différents a été comparé à un témoin "monoculture" non traité. En plus du témoin, il y avait une modalité commune de culture associée de laitue et de poireaux où une rangée de laitue était plantée au milieu de deux rangées de poireaux. Au CRA-W, il y avait une deuxième modalité de culture associée avec deux rangs de laitue entre les rangs de poireaux (espacement des rangs de 75 cm). Pour la stratégie de protection par des moyens physiques, un total de quatre filets différents a été testé : un filet climatique et trois types de filets anti-insectes avec différentes tailles de maille. Un objet de culture associée a également été recouvert d'un filet anti-insectes (essai CRA-W). Enfin, dans les deux essais, il y avait également une modalité où la culture était pulvérisée avec un biopesticide. A Inagro, il s'agissait d'une pulvérisation de pyréthrines (Raptol) et au CRA-W, de quatre traitements hebdomadaires avec une infusion d'oignon (fabrication locale). La récolte des laitues pour l'évaluation finale de la qualité marchande a eu lieu le 26 août (CRA-W) et le 1er septembre (Inagro).
 

Tableau 1. Les modalités testées au CRA-W et Inagro en 2020

Figure 1. Le champ d'essai à Inagro juste après la plantation de la laitue pommée et la pose des différents filets dans les parcelles d'essai couvertes (Beitem, 23 juillet 2020)

La plantation a été suivie de huit jours secs avec une température maximale très élevée (≥30°C). A Inagro comme au CRA-W, la culture a été arrosée pendant cette période. Les pucerons sont restés très limités, ou même absents de la culture jusqu'à début août. Après cela, le nombre de pucerons dans la culture a augmenté mais les densités maximales atteintes sont restées limitées : une moyenne de 2,6 pucerons/plante le 10 août (CRA-W) et 1,8 par plante le 24 août (Inagro) dans les parcelles non traitées. Après 5-6 semaines, la laitue était prête à être récoltée. A la récolte, les pucerons ont été comptés sur 3 à 10 plantes récoltées par parcelle. A Inagro, la densité des pucerons a encore augmenté peu avant la récolte pour atteindre une moyenne de 5 pucerons par plante sur les laitues non traitées. Sur la parcelle d'essai du CRA-W, ça n’a pas été le cas, les laitues récoltées du témoin avaient moins de 1 puceron par plante.

Figure 2. Evolution du nombre moyen de pucerons comptés par plante dans les différents objets pendant la culture de la laitue: PL1= association poireau - 1 rang de laitues; PL1F= idem + filet; PL2= association poireau - 2 rangs de laitues; LInf= application d’infusions d'oignon; LF= filet anti-insectes; LS= laitue seul non traité (CRA-W, 2020)

Dans les petites exploitations, l’usage des filets climatiques ou des filets anti-insectes est une pratique courante pour protéger les cultures. Dans toutes les cultures, il est important de déterminer le type de filet le plus approprié et la durée optimale de couverture en fonction de la période de culture et des principaux ravageurs. 

A Inagro, trois filets différents ont été testés en comparaison avec le filet anti-pigeons (témoin) comme couverture standard utilisée contre les pigeons et le petit gibier. Le Howicover (filet climatique de Howitec) est celui qui a clairement exclu le mieux les pucerons de la culture. Aucun puceron n'était présent sur 93% des plantes. Même sous le filet anti-insectes à mailles les plus fines, la densité des pucerons est restée faible. Sous l'Ornata Light, par contre, les pucerons étaient présents sur 42% des plantes. Néanmoins, le nombre moyen de pucerons par plante était significativement inférieur à celui du témoin. 
Dans tous les comptages, les prédateurs présents sur les plantes ont également été comptés. Dans le contrôle (filet anti-pigeons), nous avons compté le plus d'ennemis naturels, qui contenaient également le plus de pucerons. Ici, les punaises prédatrices et les larves de syrphes étaient les principaux prédateurs présents. Dans les parcelles couvertes, pratiquement aucun prédateur n'a été observé.

Dans l'essai du CRA-W, deux modalités ont été couverts avec l'Ornata addu 80100 (0,8 x 1 mm). Ici, aucun effet protecteur contre les pucerons n'a été démontré mais cela était principalement dû à une mise en place tardive (une semaine après la plantation) et à une ouverture régulière pour des observations hebdomadaires. Une fois établis sous les filets, les pucerons pouvaient se multiplier encore plus rapidement. Cela s'explique par le fait que le filet anti-insectes constitue également une barrière pour certains ennemis naturels et d’autre part le filet protège les plantes des fortes pluies. Dans la modalité de culture associée avec filet, un effet protecteur contre la mouche mineuse du poireau a été observé, et dans une moindre mesure également contre les thrips.

Figure 3. A gauche : Laitue pommée couverte d'un filet anti-insectes 'Ornata addu 80100' (essai CRA-W, 24 août 2020) ; à droite : laitue pommée couverte d'un filet anti-insectes tissé 'Ornata Light' (essai Inagro, 27 août 2020)
 

Figure 4. Nombre moyen de pucerons par laitue dans les différents modalités lors de la récolte du 26 août (CRA-W) et du 28 août (Inagro) 2020.

La culture associée de poireaux a montré un effet répulsif sur les pucerons. Aucun puceron n'était présent sur 60 % des plants de laitue récoltés et la densité moyenne de pucerons par plante était inférieure à 1, contre 5 dans le témoin. Ainsi, dans cet essai, la stratégie s'est avérée aussi efficace que la couverture par un filet anti-insectes à mailles fines. 
En revanche, dans l'essai sur CRA-W, la même variante de culture associée à ciel ouvert, n'a montré aucun effet sur le nombre de pucerons présents sur les plants de laitue. La deuxième variante dans laquelle deux rangées de laitue étaient plantées entre les poireaux s'est également avérée inefficace contre les pucerons. Dans la troisième variante recouverte d'un filet anti-insectes, le milieu étant plus confiné, il y avait par contre nettement moins de pucerons. Il est possible que l'effet répulsif du poireau ait d'abord empêché les pucerons de passer sous le filet. Vers la fin de la culture, le nombre de pucerons sous le filet a de nouveau augmenté, probablement par manque d’auxiliaires. 

Figure 5 : Culture associée d'un rang de laitue pommée (à gauche) et de deux rangs de laitue pommée (à droite) entre des poireaux plantés à 75 cm, essai CRA-W (24 août 2020)

Dans les deux essais, la laitue entre les poireaux ne s'est pas aussi bien développée. La concurrence pour l'eau et les nutriments s'est avérée trop forte. A la récolte, cela s'est traduit par un poids à la pièce plus faible et des laitues de plus petit diamètre. Sur Inagro, le déficit de croissance a été le plus important et, même après une période de croissance légèrement plus longue, nous n'avons pas pu récolter de laitues commercialisables. La proportion de laitues pommées commercialisables était également significativement plus faible dans la variante avec une double rangée de laitue entre les poireaux. 

Figure 6. La laitue cultivée entre les poireaux s'est moins bien développée (à gauche, essai Inagro) ; sous un filet anti-insectes, la croissance a été légèrement meilleure (à droite, essai CRA-W).
 

Dans l'objet de culture associée sous filets anti-insectes, la laitue s'est mieux développée. Nous pouvons expliquer cet effet par le fait que le microclimat sous le filet réduit l'évaporation de l'eau du sol. Par conséquent, le sol reste humide plus longtemps après une pluie ou une irrigation. De cette manière, la couverture pourrait en partie réduire la compétition pour l'eau entre les deux cultures. 

La couverture avec des filets climatiques ou des filets anti-insectes n'a pas eu d'impact négatif sur le rendement mais a eu un impact négatif sur la qualité des laitues. Les laitues pommées sous filet climatique étaient nettement plus légères et avaient trop peu de feuilles libres en périphérie. La récolte était également légèrement plus pâle et moins uniforme. Sous les deux types de filets à mailles fines, la formation des laitues était excessive et les laitues avaient également moins de feuilles libres en périphérie par rapport au témoin. La laitue récoltée dans le témoin était clairement de meilleure qualité. Ainsi, dans ces essais, malgré un bon poids des laitues et une moindre infestation de pucerons, la protection par des filets des cultures a donné une qualité de laitue pommée moins souhaitable pour la vente en gros.

Figure 7 : Effet des filets sur la qualité visuelle de la récolte : parcelle couverte par un filet climatique (au centre) et par Ornata addu 5080 (à droite) comparée au témoin sous filet anti-pigeons (à gauche), essai Inagro 2020.

La pulvérisation de pyréthrines (Raptol), appliquée une fois un mois après la plantation et une semaine avant la récolte, n'a pas réduit de manière significative le nombre de pucerons à la récolte. Ainsi, à faible pression de pucerons, cette pulvérisation semble être inutile. Les pyréthrines n'ont qu'un effet de contact de courte durée et ne sont pas sélectives, tuant également de nombreux ennemis naturels. Compte tenu de la forte activité des auxiliaires en été, l'utilisation des pyréthrines n'est donc pas recommandée. 

La préparation à base d'infusion d'oignon préparée par le CRA-W lui-même a été pulvérisée quatre fois sur la culture à intervalles hebdomadaires, en commençant une semaine après la plantation. Cependant, les résultats montrent, aussi bien peu de temps après la pulvérisation qu'après les quatre traitements, aucun effet sur la pression des pucerons. Néanmoins, d'autres études ont montré un effet des extraits d'Alliaceae sur les pucerons. Il est possible que la préparation ou la méthode d'application n'ait pas été optimale dans cet essai.

Couvrir la laitue avec le filet climat Howicover semble être le moyen le plus efficace pour empêcher les pucerons d'entrer dans la culture. Si vous utilisez un filet anti-insectes à mailles fines, faites attention aux pucerons qui passent sous le filet ; vous risquez en fait de favoriser l'infestation. Le filet, quel que soit son type, doit être installé immédiatement après la plantation de la laitue. L'inconvénient du filet est qu'il affecte la qualité des laitues. En particulier pour la livraison aux grossistes, la laitue pommée cultivée sous filet climatique ou sous filet anti-insectes fins, semble moins répondre aux normes souhaitées du marché.

La culture de la laitue entre les poireaux est évaluée, d'après les résultats, comme un plus pour la lutte contre les pucerons mais un moins pour le rendement de la laitue. La concurrence entre les deux cultures reste un inconvénient majeur de cette forme de culture associée, surtout pour la laitue. Des expérimentations supplémentaires sont nécessaires pour trouver des moyens de réduire la concurrence. L'association avec des filets semble être une possibilité, mais elle doit être validée plus avant, avec une attention particulière portée à une installation de filet adéquate tenant compte des périodes de risque des ravageurs présents. 

Une dernière remarque à propos de ces essais, concerne le fait que les techniques testées peuvent donner de meilleurs résultats dans d'autres conditions de culture. Par exemple, les filets climatiques permettent souvent d'obtenir un poids de récolte plus élevé pendant les périodes de culture plus froides et la culture associée avec des poireaux a plus de chances de réussir lorsqu'il y a plus de précipitations. Avec une pression plus élevée et des programmes de pulvérisation plus intensifs, les pyréthrines pourraient bien s'avérer avantageuses.

Ci dessous sont reprises les références de documents intéressants si vous souhaitez approfondir cette thématique : 

Articles scientifiques :

Ben-Issa, R., Gomez, L., & Gautier, H. (2017). Companion Plants for Aphid Pest Management. Insects, 8(4), 112‑131. https://doi.org/10.3390/insects8040112

Dardouri, T. (2018). Implication des composés organiques volatils dans la capacité des plantes de service à perturber le comportement et les performances de Myzus persicae (Sulzer), le puceron vert du pêcher. Autre [q-bio.OT]. Université d’Avignon, 2018. https://theses.hal.science/tel-02178970

Parker, J. E., Snyder, W. E., Hamilton, G. C., & Rodriguez-Saona, C. (2013). Companion Planting and Insect Pest Control. InTech. https://www.intechopen.com/books/weed-and-pest-control-conventional-and-new-challenges/companion-planting-and-insect-pest-control